CRÉANCIERS

d’August Strindberg.

traduction : Terje Sinding

adaptation : Philippe Calvario

Avec : Benjamin Baroche, Philippe Calvario et Julie Debazac.

Mise en scène et adaptation : Philippe Calvario 

Lumières : Bertrand Couderc

Costumes : Coline Plocquin

Son : Christian Chiappe

Production : Cie Saudade

 

AU THÉÂTRE DE L’ÉPÉE DE BOIS
CARTOUCHERIE-VINCENNES (75 012)
DU 9 NOVEMBRE AU 03 DÉCEMBRE 2023
DU JEUDI AU SAMEDI À 19H
SAMEDI ET DIMANCHE À 14H30

CALENDRIER DES REPRÉSENTATIONS

Adapter la pièce – jouer avec l’auto-fiction

 

« Créanciers » est pour moi à la fois une ronde amoureuse et destructrice entre 3 êtres : deux hommes et une femme au centre des deux.

Strindberg, au moment où il écrit la pièce, est en pleine rupture amoureuse et les échos dans les questionnements et la douleur des personnages sont évidents.

Ce qui me touche depuis toujours au cœur de la pièce, c’est la présence de l’art, de la création, et le fait qu’elle raconte des artistes et leur questionnement. Tout comme la mouette, que j’ai déjà monté.

Dans la version originale Adolphe (que je rebaptiserai AL) est un peintre en mal de création qui se met à sculpter. Tekla est écrivaine, tandis que Gustav (surnommé GUS) est professeur. L’idée de rapprocher ces personnages des acteurs qui les jouent en adaptant la pièce a peu à peu germé en moi. Dans cette nouvelle version, je jouerai donc un metteur en scène de théâtre qui a démarré fort mais dont le désir s’émousse ; Julie Debazac  sera une actrice sortie du Conservatoire National de plus en plus aspirée par le cinéma et qui se désintéresse aux mises en scène de son mari. Benjamin Baroche, enfin, sera un acteur populaire reconnu (ce qui a permis la rencontre avec AL) mais dont son ex-femme cache l’identité dans sa biographie. Le faisant passé pour un homme qui a raté sa vocation.

Volonté de contrôler l’autre, jusqu’à  la domination parfois ; il s’agira de pouvoir montrer cela. Ce sont des rapports passionnants à interpréter. À leur rencontre, Al « dominait » Tekla professionnellement et intellectuellement, puis peu à peu, sa force créative s’est épuisée jusqu’à ce qu’il tombe dans un oubli de la porfession, tandis que Tekla est devenue une actrice célébrée et reconnue. Elle ne vibre dans la pièce que dans ses désirs, c’est ce qui la rend de loin la plus lumineuse des trois. Une Marylin qui connaîtra aussi son heure tragique à la fin de la pièce. Les hommes sont beaucoup plus perdus et flous dans leur désir, il s’agira aussi de pouvoir montrer ces différences vibratoires.

Jeu de miroir : entre théâtre et cinéma

Dans la pièce, Strindberg décrit à travers la voix de Gus, la peinture comme un art vieillissant par opposition à la sculpture évoquée comme l’art novateur. Provocation, bien sûr, comme la plupart des interventions de Gus, qui profite de la fragilité d’Al pour instaurer le trouble et le désordre autour de lui.

Il me paraissait du coup presque amusant de placer ce combat entre théâtre et cinéma. Comme brandir un cliché assez facile qui consisterait à placer le cinéma et l’image comme art moderne face au théâtre, art ancestral.

Je ne chercherai pas à « moderniser, simplement pour…moderniser », mais tenterai de donner corps à une sorte d’auto-fiction, pour relier les acteurs encore plus à leurs rôles. Je repense parfois en adaptant à ce qu’a fait Maïwenn dans le bal des actrices.

L’esthétisme même du spectacle peut se trouver questionné dans cette adaptation. Les images filmées de Tekla qu’Adolf tournerait en cachette racontent son positionnement dans cet art nouveau pour lui (comme le personnage le fait en sculptant un corps de femme dans la pièce originale de Strinberg).

Difficultés à circuler dans différents espaces artistiques (fictions télévisées, cinématographiques et pièces de théâtre), sans souffrir des préjugés de la profession elle-même : autant de questions que cette pièce me permettra d’aborder dans cette nouvelle adaptation. Il s’agit bien sûr de restituer au plus vif le rapport de forces et de destruction que nous présente Strindberg.

Le besoin de succès et de reconnaissance, sa fragilité, questionne et renforce les failles et brisures du couple ou plutôt des couples de la pièce.

Car ce jeu cruel entre couples s’avère assez vertigineux. Bien sur, il y a le couple actuel (Tekla et Al), l’ancien (Tekla et Gus), mais pour finir, un troisième couple se construit, celui formé par les deux hommes…

Les trois personnages semblent guidés par leur peur d’abandon, et comme chez eux c’est cette peur qui dirige, la destruction advient. S’ils lâchaient un peu cette peur, ne seraient ils pas capables de se sauver ? J’ai envie que ma mise en scène pose secrètement cette question aux spectateurs.

Créanciers : une pièce aussi sur le style

Trouver le style de jeu de la pièce enfin m’intéresse beaucoup : Strindberg a précisé qu’il s’agissait d’une tragi-comédie (dans le sous-titre). Il ne faut donc pas faire l’économie d’une forme d’outrance parfois dans l’interprétation des personnages.  Il faudrait également faire ressortir  l’invraisemblance parfois de certaines situations qui peuvent pousser le spectateur dans le retranchement du rire. Par exemple, les propos misogynes de Gus trouveront encore plus d’écho dans ces rires fait de sarcasme, d’ironie et de distance.

Pour moi, Strindberg réussit à écrire à la fois un vaudeville bourgeois et un thriller psychologique décadent.  Cette mince frontière entre deux genres pourraient s’opposer m’a intéressé d’emblée, parce que c’est difficile à jouer et à mettre en scène. Mais c’est dans cette capacité de mêler les styles que ressort tout le génie de l’auteur.

Je vois ainsi les personnages patauger entre sublime et pathos, se débattre entre Éros et Thanatos.

Philippe Calvario. 

 

LA PRESSE :